Jacques GRÉVIN
(1538-1570)
Dernier poème en ligne :
1561 : Mon navire s’en va…

J’aurai en révérence

et me sera chômable

Le plus beau jour d’été,

auquel je découvris

mon langoureux tourment

 

 
L’abbé GOUJET, 1748
 

JACQUES GRÉVIN.

Je n’ai point trou­vé le nom de Bé­reau par­mi ce grand nombre de Poètes et autres Écri­vains[1] dont Joachim Du Bellay parle avec hon­neur, ou qu’il se contente de citer dans ses poé­sies. Mais on y lit sou­vent celui de de Jacques Gré­vin, qui lui a sur­vé­cu, et qui a jeté des fleurs sur son tom­beau.

Ce Poète naquit à Cler­mont en Beau­vai­sis vers l’an 1540. Il se rap­pelle plu­sieurs fois avec com­plai­sance dans ses poé­sies le sou­ve­nir du lieu de sa nais­sance, et de ceux qui l’ont hono­ré par leurs talents. Il nous apprend dans son Ode pour le tom­beau de Pierre de Prong, son oncle, qu’il per­dit son père de bonne heure, et qu’il dut son édu­ca­tion à cet oncle : car fei­gnant que Pierre de Prong lui reproche de n’avoir encore rien fait pour sa mé­moire, il lui fait dire :

Toi que j’ai premièrement
Après la mort de ton Père
Élevé soigneusement
Ainsi qu’une douce mère,
Abreuvant tes jeunes ans
De la foi des anciens :
Et dès ta première enfance
Au giron de la science
T’aviandant aux secrets
Des Auteurs Latins et Grecs.

Et plus bas Grévin recon­naît qu’il doit tout aux soins de cet oncle :

Car de tout ce que je puis,
Et qu’oravant pourrai dire,
Son redevable j’en suis,
Son redevable est ma lyre,
Et ma Muse et mes écrits,
Et tout ce que j’ai appris.

Il y a lieu de croire que le Poète entend par la foi des anciens dans laquelle il fut élé­vé, le goût et la manière de pen­ser des Anciens. Quant à la Reli­gion, on a des preuves que Gré­vin a pro­fes­sé le Cal­vi­nisme, et qu’il est mort dans cette reli­gion. Ses pro­grès dans les belles lettres, dans la poé­sie en par­ti­cu­lier, dans la con­nais­sance des Auteurs Grecs et Latins, et même dans la Méde­cine, furent si grands, que dès sa plus tendre jeu­nesse, il méri­ta les éloges de ses con­tem­po­rains ; ce qui lui a fait don­ner place par M. Bail­let dans ses Enfants deve­nus célèbres par leurs études. Le savant Muret fut un de ses maîtres dans les Huma­ni­tés, et Gré­vin se féli­cite d’avoir été un de ses dis­ciples. Il n’avait qu’envi­ron dix-sept ans lorsqu’en 1558 on repré­sen­ta au Col­lège de Beau­vais sa Comé­die inti­tu­lée la Tréso­rière, qui en 1560 fut sui­vie de la Tra­gé­die de César, en vers Fran­çais et en cinq Actes. On l’accu­sa d’avoir pris cette der­nière pièce du Latin de Muret, mais quand on vint à l’exa­men, on recon­nut la faus­se­té de l’accu­sa­tion.

Gré­vin fit im­pri­mer sa Tra­gé­die en 1562 et la fit pré­cé­der d’un Dis­cours en prose sur le Théâtre : il y parle du pla­giat dont il avait été accu­sé : il ne nie pas qu’il n’ait pro­fi­té de quel­ques endroits de la Tra­gé­die de Muret ; mais il assure et avec raison, que la sienne est fort dif­fé­rente pour la con­duite. Au com­men­ce­ment de 1560 on joua encore au même Col­lège sa Comé­die qui a pour titre les Éba­his, aus­si en vers : nous l’avons, avec la Tré­so­rière, à la suite de sa Tragé­die de César. Dans l’avis qui pré­cède la Tré­so­rière, Gré­vin dit qu’il avait déjà mis en jeu une autre Comé­die, inti­tu­lée la Mau­ber­tine, et qu’il n’en pri­vait le public que parce qu’elle lui avait été déro­bée. Des talents si pré­ma­tu­rés firent alors l’éton­ne­ment de l’Uni­ver­si­té et de la ville de Paris ; et tout le monde s’em­pres­sa d’applau­dir au jeune Auteur et de l’encou­ra­ger. Le fameux Ron­sard se char­gea en par­ti­cu­lier de son pané­gy­rique, et il n’épar­gna pas les expres­sions les plus flat­teuses. Il le mit fort au-dessus de Jodelle et de lui, quoique l’un et l’autre fussent depuis long­temps en pos­ses­sion d’avoir les suf­frages du public. M. Bail­let, et ceux qui l’ont copié, pré­tendent que dans la suite la jalou­sie s’em­pa­ra de l’es­prit et du cœur de Ron­sard, et qu’il ne put la cacher. Il est vrai que ce Poète ayant autre­fois adres­sé à Gré­vin, dans le second livre de ses Amours, le Son­net qui com­men­çait pr ces vers :

À Phébus, mon Grévin, tu es du tout semblable
De face et de cheveux, et d’art et de savoir,

il raya depuis le nom de Gré­vin, et y sub­sti­tua le nom de Patouil­let. Mais la jalou­sie n’eut aucune part à ce chan­ge­ment. Ceux qui l’ont pen­sé, ont igno­ré que Gré­vin atta­ché au Cal­vi­nisme, oubliant toutes les louanges dont Ron­sard l’avait hono­ré, n’avait pu lui par­don­ner son Dis­cours sur les misère du temps, où les Sec­ta­teurs de la nou­velle Reli­gion étaient ma­ltrai­tés, en haine de quoi il avait de con­cert avec La Roche-Chandieu, Flo­rent Chré­tien et d’autres, tra­vail­lé à la com­po­si­tion d’une Satire san­glante contre Ron­sard, inti­tu­lée Le Temple.

[…] 

L’abbé GOUJET,
Biblio­thèque française,
ou Histoire de la Litté­ra­ture française,
tome XII, 1748, pp. 152-156
[Gallica, NUMM-50655, PDF_155_159]
(texte modernisé).


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Notes

[1] La « vie » de Jacques Grévin succède dans la Biblio­thèque de l’abbé Goujet à celle de Jacques Béreau.





Liens

Compte rendu de lecture

* On peut lire, de Roland Guillot, un compte rendu de lecture de Jacques Grévin, La Gélo­da­crye et Les vingt-quatre sonnets romains, publi­ca­tions de l’Uni­ver­si­té de Saint-Étienne, texte éta­bli et anno­té par Michèle Clément, Collec­tion Textes et Contre-textes, n°1, paru dans la revue Réforme, Huma­nisme, Renais­sance (2001, volume 53), en ligne sur Persée, portail de publi­ca­tion élec­tro­nique de revues scienti­fiques en sciences humaines et sociales.

Liens valides au 16/04/20.


 


En ligne le 15/10/05.
Dernière révision le 16/04/20.