Francesco PETRARCA (1304-1374)
Pace non trovo… (Canz., 134)
Venise, 1470, f° 58v° [←Gallica].

PAce non trouo & non o da far guerra

& temo & spero & ardo & sono un ghiaccio
& uolo sopral cielo & giaccio in terra
et nulla stringo et tuttol mondo abraccio
tal ma in prigion che non mappre ne serra
ne per suo miritien ne scioglie il laccio
& non mi ancide amore et non mi sferra
ne mi uuol uiuo ne mi trae din paccio

V eggio senza occhi et non o lingua et grido
et bramo diperir et chieggio aita
& o in odio me stesso & amo altrui
pascomi di dolore piangendo rido
egualmente mi spiace morte & uita
in questo stato son donna per uoi

Les Œuvres, « Douze Sonnets de Pétrarque »,
Paris, Vascosan et Corrozet, 1547, f° 56v° [←Gallica].

Paix ie ne trouuɇ, & n’ay dont faire guerre:
I’esperɇ & crains, ie brullɇ, & si suis glace:
Ie uolɇ au Ciel, & gis en basse place:
I’embrasse tout, & rien ie ne tien serre.

Tel me tient clos, qui ne m’ouure n’enserre,
De moy n’a curɇ, & me tourne la face:
Vif ne me ueut, & l’ennuy ne m’efface,
Et ne m’occit Amour ny ne desserre.

Ie uoy sans yeux, sans langue uois criant:
Perir desirɇ, & d’ayde i’ay enuie:
Ie hay moymesmɇ, autruy i’aimɇ & caresse:

De deuil me pais, ie lamentɇ en riant:
Egalement me plaisent mort & uie:
En cest estat suis pour uous ma maistresse.

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, sonnet LI, pp. 54-55 [←Gallica].

Paix ie ne trouue, & n’ay dont faire guerre,
I’espere & crains, & bruslant suis en glace,
Rien ie n’estrains, & tout le monde embrasse,
Ie uole au ciel, & suis croupant en terre.

En prison m’ha tel, qui n’ouure ne serre,
Ne me retient pour sien, ne me delasse,
D’amour ie uis, & point ne me faict grace,
Et ne me tue, encores moins desserre.

Sans yeux ie uois, & sans langue ie crie,
Ie quiers secours, & de mourir ie prie,
Vn autre i’aime, & à moy ie ueux mal.

Ie ris en pleurs, & dueil repaist mon ame,
Et uie & mort me faschent par esgal:
Voila l’estat, ou suis pour uous, ma dame.

Paris, Étienne Groulleau, 1553, Sonnets, f° 3v° [←Gallica].

Ie cherche Paix, & ne trouue que Guerre,
Ore i’ay peur, ore ie ne crains rien,
Tantost du mal, & tantost i’ay du bien,
Ie vole aux cieux, & ne bouge de terre.

Dans mes desirs l’esperance i’enserre,
Puis en l’instant ie luy romps le lyen,
I’ayme celuy qui m’est le seul moyen
Du dard pointu qui sans cesse m’enferre,

Ie voy sans yeux, ie cours sans deplacer,
Libre ie suis, & me sens enlacer
D’vn cable d’or qui le Soleil egalle.

Ie glace au feu, & brusle dedans l’eau,
Ie riz en pleurs & ronge mon cerueau,
Chantant tousiours comme fait la cigalle.

L’onzième Livre d’Amadis de Gaule,
Paris, Jean Longis, 1554, chap. premier, f° 2r° [←Gallica]
[sonnet mis en page sur le modèle du sonnet du f° 41r°].

Ie suis en paix & en mortelle guerre:
Ie crains, i’espere, i’ardz froide comme glace:
Ie vole au ciel, tout esten­due en terre,
Et rien n’estrains de fait & tout i’embrasse:

En prison suis qui ne s’ouure ne serre:
D’vn mesme laz on me lace & delace:
Amour m’enferre ensemble & me de­ferre,
M’ayant donné & puis m’ostant sa grace:

Heur & malheur me suyuent en ma chasse:
Ie veux mon bien & à mon mal ie cours:
Ega­le­ment la vie & mort ie fuis:

Voire la vie & la mort ie pourchasse:
Et veux perir & demande secours:
En tel estat pour Florisel ie suis.

Paris, Vincent Sertenas, 1554, Sonnets, 38, f° 12v° [←Gallica].

Cette prison, ou ie suis enserré
Ne me detient, prisonnier m’enuironne.
I’ay liberté, seruitude m’ordonne.
Ie romp les cepz, ie suis plus enferré.

Ie suis viuant, douleur m’a enterré.
I’ay tout vaincu, vn autre se couronne.
Chaleur me brusle, à glace m’abandonne,
Plaisir m’estraint, & dueil m’a deserré.

Sans yeux ie veoi, sans langue ie me plain.
Tout au plus haut ie suis de la prison,
Au plus profond de la fosse complain,

L’ ardant ennuy de ma froide poison.
Vn autre aimant, ie me suis desaimé.
Ainsi ie meur, viuant sans estre aimé.

Paris, André Wechel, 1555, livre II, f° 37r° [←Gallica].

Rien etreindre ne puis, toute chose i’embrasse:
I’aime bien d’estre serf, & cherche liberté,
Ie ne bouge de terre, outre le ciel ie passe,
Ie me promé douceur, où n’y a que fierté.

A tel me suis donné, qui pour sien ne m’auouë,
Dou uiure ie m’atten, cela me fait mourir,
Ie blame le plus fort, ce que plus fort ie louë,
Ie demande remede, & ie ne ueu guerir.

Ie me hai, i’aime autruy: ie crein, & ie m’asseure:
Ie suis feu, ie suis glace: en fuiant, ie poursuy.
Où ie me fai uaincueur, la uaincu ie demeure.

Ce m’est sucre le dueil: la ioie ce m’est suye:
Ie meur si i’ai de l’aise, & ie ui de l’ennuy:
I’ai pris en mesme horreur & mort & uie.

Paris, Vincent Sertenas, 1557, CIII, f° 35r° [←Gallica].

Ie cherche paix, & ne trouue que guerre,
Ores i’ay peur, ores ie ne crains rien,
Tantost du mal & tantost i’ay du bien,
Ie vole au ciel & ne bouge de terre.

Au cueur doubteux l’esperance i’enserre,
Puis tout à coup ie luy romps le lyen,
Ie suis à moy & ne puis estre mien,
Suyuant sans fin qui me fuyt & m’enferre.

Ie voy sans yeux, ie cours sans desplacer,
Libre ie suis & me sens enlaçer
D’vn poil si beau que l’or mesme il egale:

I’englace au feu, ie brusle dedans l’eau,
Ie riz en pleurs, & ronge mon cerueau,
Chantant tousiours comme fait la cigalle.

Les Odes, livre IV, « De l’absence de s’amie » [strophes 3 à 5],
Paris, André Wechel, 1559, ff. 148v°-149r° [←Gallica].

[…] 

L’amour me faict hair moy mesme,
Le bien me fait vn mal extreme,
Et le feu trop chault me pallit,
Le repos helas! me trauaille,
Le veiller m’est somme, & le lict
M’est vn camp de dure bataille,
Où viuant on m’enseuelit.

Le pleurer me plaist, & le rire
M’apreste vn contraire martire,
Le repos m’est venin & fiel,
Au lieu de paix i’ay tousiours guerre,
Ie voy sans yeux, & volle au ciel
Sans iamais départir de terre,
Où ieune ie semble estre vieil.

I’espere & crains d’vn seul courage,
Mon profit m’aporte dommage,
Et le iour plus serain qui luyt
Ne m’est que tenebre mortelle,
Bref, i’ay sans fin soit iour ou nuict
D’vn vieil desir peine nouuelle,
En suyuant cella qui me fuyt.

[…] 

Paris, Abel L’Angelier, 1576, I, VII, f° 2v° [←Gallica].

N’esperer qu’vne paix, & viure en vne guerre,
Ne pourchasser ma grace & demander merci,
Paroistre de douleur & de ioye transi,
M’enlasser d’vn lien qui iamais ne se serre:

Voler iusques aux cieux & demeurer en terre,
Me captiuer moymesme, & m’eslargir aussi,
Chercher mon passetemps, & n’auoir que souci,
Estre plus dur qu’vn roc, & plus fresle qu’vn verre:

M’armer de patience, & enrager tout vif,
Viure tantost heureux, tantost pauure chetif,
Brusler à petit feu, & geler en la glace,

Ma propre volonté changer en vn moment,
Ce sont les passions que i’endure en aimant
Ma Flore, qui m’a prins par les rais de sa face.

Paris, Abel L’Angelier, 1578, Amours, XXI, f° 38r° [←Gallica].

Je ne puis trouuer paix & n’ay ou faire guerre,
J’espere au desespoir, ie brusle & suis en glace:
Sans pouuoir rien tenir tout le monde i’embrasse,
Et tel m’a prisonnier qui ne m’ouure ou resserre.

Je volle sur les Cieux & languis en la terre,
Je forcene d’ amour & iamais ne m’en lasse.
Lon ne veut que ie viue & moins que ie trespasse,
Et tel ne me veut point qui mon las ne desserre.

Je voy sans yeux, i’oy sourd, & sans langue ie crie:
Je cerche ma ruine & le secours ie prie,
Je veux mal à moy-mesme & vn chacun i’honore:

Je me pais de douleur, pleurant faut que ie rie:
Esgallement me plaist & la mort & la vie,
Et vous seulle causez l’ennuy qui me deuore.

Paris, Lucas Breyer, 1581, f° 41v° [←Gallica].

PAix ie ne treuue, & ne puis faire guerre,
I’espere & crains, ie brusle, & ie suis glace,
Rien ie n’estrains, & tout ce rond i’embrasse,
Ie vole au ciel, & si ie suis en terre,

Ie suis captif & si rien ne m’enserre,
Enrethé suis & rien ne m’entre-lace,
Rien ie ne veux & si i’aime la face
De celle la sur toutes qui m’enferre,

Ie voy sans yeux, sans cœur me conuient viure,
Le dueil me paist, le plaisir me veut suiure,
Ie veux perir l’aide le cœur m’enflamme,

Autruy me plaist, & moy mesme m’ennuye,
Egalement veux la mort & la vie,
En tel estat ie suis pour vous ma-dame.

Anvers, Chr. Plantin, 1583, La Marguerite, I, p. 818 [←Gallica].

Ie vis en paix, & crains mortelle guerre,
Le feu me gelle, & dans la glace i’ars,
Ie suis retif, & vole en mille pars,
Ie monte au Ciel, & ne bouge de terre.

Ie me fay libre, & la prison m’enserre,
I’embrasse tout, & n’ay qu’ombrage espars,
Ie deuiens chiche, & mes biens ie depars,
Hayne m’asseure, amitié me deterre.

Vn mesme las m’esclaue, & m’affranchit,
Vne mesme eau m’enflame, & refrechit :
Heur, & malheur, m’ataignent en ma chasse.

Ie veus peril, & secours ie poursuis,
Ie fuy la mort, & sans fin ie trespasse :
Est-il Amant plus vexé que ie suis ?

Les premières Œuvres poétiques, Les Amours de Dione,
Paris, Thomas Perier, 1583, sonnet LX, p. 31 [←Gallica].

I’ayme la Paix, & suis tousiours en Guerre,
I’ayme à regner, & cherche le Tumbeau,
Ie hay l’Amour, & rien ne m’est plus beau,
Ie volle au Ciel, & m’accrouppis en terre.

Dans la prison, & en liberté i’erre,
Chargé de fers, & si suis sans fardeau,
I’espere, & crains, & brusle dedans l’eau,
Ioyeux & gay, & la douleur m’enterre.

Ie vois bien cler, aueuglé, & sans yeux,
Sans langue aussi, ie penetre les Cieux,
Vn autre i’ayme ennemy de moy-mesme.

L’hyuer ie brusle, & l’Esté meurs de froid,
Voyla l’estat, Madame ou lon me void,
Pour vous aymer d’vne amitié extreme.

Paris, Marc Orry, 1583, f° 284r°v° [←Gallica].

IE n’ay iamais la paix & ne peux faire guerre,

 Ie crains, i’espere, i’ars, i’ay l’estomac glacé,
I’embrasse tout le monde, & ne tiens rien pressé,
Ie volle iusqu’aux cieux, & ne bouge de terre.

Telle m’a en prison, qui ne m’ouure ny serre,
Ny sien me retenant n’a mon cep delacé.
Amour ne m’occist pas, ny viuant delessé
Ne me tirant d’ennuys aussi ne me deferre.

Sans langue ny sans yeux ie voy, ie crie fort.
Ie cerche du secours, ie desire la mort.
Ennemy de moy seul autruy i’adore & ayme.

Ie ris en lamentant, ie me pais de douleurs,
Le viure & le mourir m’est vne chose mesme,
En cest estat m’ont mis Madame, voz rigueurs.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 54, p. 277 [←Gallica].

TRouuer paix ie ne puis, & ne puis faire guerre,
Ie crains, i’espere, i’ards, & suis la mesme glace:
Ie volle sur le ciel, & ne bouge de terre.
En ne rien estraignant tout le monde i’embrasse.

Tel me tient en prison qui ne m’ouure ny serre:
Ny pour soy me retient, ny rompt ce qui me lasse
Amour point ne me tue, & si ne me deffere,
Il ne me veut voir vif, ny que mort me defface.

I’estans sans yeux ma veuë, & sans langue mes cris :
I’enrage de perir & conferme ma vie.
Ie veux mal à moy seul, & tous me sont amis.

Ie me pais de douleurs, & en pleurant ie ris,
Et tant me plaist la mort comme i’aime la vie.
Madame c’est l’estat enquoy vous m’auez mis.

Les Tragédies, Bergerie,
Rouen, Jean Petit, 1601, Sonnets, II [←Gallica].

HElas ie brusle & si ie suis de glace!

 I’aime beaucoup & ie haï bien fort;
Ie suis en vie, & ie pense estre mort;
Ie vay par tout sans bouger d’vne place.

De peur ie tremble & ie fremis d’audace;
Ie cherche paix & ie trouue discord;
I’ay la raison, on me donne le tort;
Ie sers tousiours & n’en ay point de grace.

Que puis-ie faire en ces diuersités?
Que doy-ie dire en ces aduersités?
Faut-il me plaindre ou bien faut-il me taire?

Plus de constance on montre en se taisant;
Mais la douleur se passe en la disant,
Comme par l’eau la chaleur se modére.

Le Pétrarque en rime française, Durant la vie de Laure,
Douai, F. Fabry, 1606, sonnet CV, pp. 195-196 [←Gallica].

Ie n’ay dõt faire guerre, en vain pais ie pourchasse,
Et ie crains & i’espere & i’ards de glace estant
Et ie m’en vole aux cieux sur la terre couchant,
Ie n’estrains rien, pourtant tout le monde i’embrasse.

Tel ne m’ouure ny serre, & en prison me lasse,
Ny pour sien me retient, en ses lacs me tenant,
Et Amour ne me tue, & des fers ne me prend,
Vif aussi ne me veut, & mon enui ne casse.

Sans langue auoir ie crie, aussi ie voy sans yeux,
Et ie voudroy perir, de secours desireux,
I’aime autruy, & ie porte vne haine a moy-mesme,

De douleur ie me pais, & en plaignant ie ris,
Ennemi à la vie & à la mort ie suis,
Pour vous dame ie vis en cest estat extreme.

Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CIV, p. 101 [←Gallica].

il dépeint sa misère à sa dame.

Je ne puis trou­ver la paix et je n’ai pas de quoi faire la guerre ; et je crains, et j’espère ; et je brûle et je suis de glace ; et je m’en­vole au-dessus du ciel et je rampe sur la terre ; et je ne sai­sis rien et j’em­brasse le monde entier.

Quelqu’un m’a mis dans une pri­son qu’il ne m’ouvre, ni ne me ferme, et sans me rete­nir pour sien, il ne dé­tache pas mes liens ; et Amour ne me tue ni ne m’ôte mes fers ; et il ne me veut pas vi­vant, et il ne me tire pas d’em­bar­ras.

Je vois sans yeux ; et je n’ai pas de langue et je crie ; et je dé­sire mou­rir, et je de­mande se­cours ; et je me hais moi-même, et je ché­ris autrui :

Je me repais de dou­leur ; je ris en pleu­rant ; la vie et la mort me dé­plaisent éga­le­ment. Voi­là Ma­dame, l’état, où vous me ré­dui­sez.

























Les Œuvres, « Douze Sonnets de Pétrarque »,
Paris, Vascosan et Corrozet, 1547, f° 56v° [←Gallica].

Paix ie ne trouuɇ, & n’ay dont faire guerre:
I’esperɇ & crains, ie brullɇ, & si suis glace:
Ie uolɇ au Ciel, & gis en basse place:
I’embrasse tout, & rien ie ne tien serre.

Tel me tient clos, qui ne m’ouure n’enserre,
De moy n’a curɇ, & me tourne la face:
Vif ne me ueut, & l’ennuy ne m’efface,
Et ne m’occit Amour ny ne desserre.

Ie uoy sans yeux, sans langue uois criant:
Perir desirɇ, & d’ayde i’ay enuie:
Ie hay moymesmɇ, autruy i’aimɇ & caresse:

De deuil me pais, ie lamentɇ en riant:
Egalement me plaisent mort & uie:
En cest estat suis pour uous ma maistresse.

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, sonnet LI, pp. 54-55 [←Gallica].

Paix ie ne trouue, & n’ay dont faire guerre,
I’espere & crains, & bruslant suis en glace,
Rien ie n’estrains, & tout le monde embrasse,
Ie uole au ciel, & suis croupant en terre.

En prison m’ha tel, qui n’ouure ne serre,
Ne me retient pour sien, ne me delasse,
D’amour ie uis, & point ne me faict grace,
Et ne me tue, encores moins desserre.

Sans yeux ie uois, & sans langue ie crie,
Ie quiers secours, & de mourir ie prie,
Vn autre i’aime, & à moy ie ueux mal.

Ie ris en pleurs, & dueil repaist mon ame,
Et uie & mort me faschent par esgal:
Voila l’estat, ou suis pour uous, ma dame.

Paris, Étienne Groulleau, 1553, Sonnets, f° 3v° [←Gallica].

Ie cherche Paix, & ne trouue que Guerre,
Ore i’ay peur, ore ie ne crains rien,
Tantost du mal, & tantost i’ay du bien,
Ie vole aux cieux, & ne bouge de terre.

Dans mes desirs l’esperance i’enserre,
Puis en l’instant ie luy romps le lyen,
I’ayme celuy qui m’est le seul moyen
Du dard pointu qui sans cesse m’enferre,

Ie voy sans yeux, ie cours sans deplacer,
Libre ie suis, & me sens enlacer
D’vn cable d’or qui le Soleil egalle.

Ie glace au feu, & brusle dedans l’eau,
Ie riz en pleurs & ronge mon cerueau,
Chantant tousiours comme fait la cigalle.

L’onzième Livre d’Amadis de Gaule,
Paris, Jean Longis, 1554, chap. premier, f° 2r° [←Gallica].

Comme la reine Sidonie se sentit grosse d’enfant : et de la naissance de la belle Diane.

[…] Puis excla­moit : Ie suis en paix & en mor­telle guerre : ie crains, i’espere, i’ardz froide comme glace : ie vole au ciel, tout esten­due en terre, & rien n’estrains de fait & tout i’em­brasse : en pri­son suis qui ne s’ouure ne serre : d’vn mesme laz on me lace & de­lace : Amour m’en­ferre en­semble & me de­ferre, m’ayant don­né & puis m’ostant sa grace : heur & mal­heur me suyuent en ma chasse : Ie veux mon bien & à mon mal ie cours : ega­le­ment la vie & mort ie fuis : voire la vie & la mort ie pour­chasse : & veux pe­rir & de­mande se­cours : en tel estat pour Flo­ri­sel ie suis. Or fit la royne Sido­nie (si tost qu’elle fut rele­uée de sa ge­sine) por­ter sa fille Diane en vn chas­teau […]

Paris, Vincent Sertenas, 1554, Sonnets, 38, f° 12v° [←Gallica].

Cette prison, ou ie suis enserré
Ne me detient, prisonnier m’enuironne.
I’ay liberté, seruitude m’ordonne.
Ie romp les cepz, ie suis plus enferré.

Ie suis viuant, douleur m’a enterré.
I’ay tout vaincu, vn autre se couronne.
Chaleur me brusle, à glace m’abandonne,
Plaisir m’estraint, & dueil m’a deserré.

Sans yeux ie veoi, sans langue ie me plain.
Tout au plus haut ie suis de la prison,
Au plus profond de la fosse complain,

L’ ardant ennuy de ma froide poison.
Vn autre aimant, ie me suis desaimé.
Ainsi ie meur, viuant sans estre aimé.

Paris, André Wechel, 1555, livre II, f° 37r° [←Gallica].

Rien etreindre ne puis, toute chose i’embrasse:
I’aime bien d’estre serf, & cherche liberté,
Ie ne bouge de terre, outre le ciel ie passe,
Ie me promé douceur, où n’y a que fierté.

A tel me suis donné, qui pour sien ne m’auouë,
Dou uiure ie m’atten, cela me fait mourir,
Ie blame le plus fort, ce que plus fort ie louë,
Ie demande remede, & ie ne ueu guerir.

Ie me hai, i’aime autruy: ie crein, & ie m’asseure:
Ie suis feu, ie suis glace: en fuiant, ie poursuy.
Où ie me fai uaincueur, la uaincu ie demeure.

Ce m’est sucre le dueil: la ioie ce m’est suye:
Ie meur si i’ai de l’aise, & ie ui de l’ennuy:
I’ai pris en mesme horreur & mort & uie.

Paris, Vincent Sertenas, 1557, CIII, f° 35r° [←Gallica].

Ie cherche paix, & ne trouue que guerre,
Ores i’ay peur, ores ie ne crains rien,
Tantost du mal & tantost i’ay du bien,
Ie vole au ciel & ne bouge de terre.

Au cueur doubteux l’esperance i’enserre,
Puis tout à coup ie luy romps le lyen,
Ie suis à moy & ne puis estre mien,
Suyuant sans fin qui me fuyt & m’enferre.

Ie voy sans yeux, ie cours sans desplacer,
Libre ie suis & me sens enlaçer
D’vn poil si beau que l’or mesme il egale:

I’englace au feu, ie brusle dedans l’eau,
Ie riz en pleurs, & ronge mon cerueau,
Chantant tousiours comme fait la cigalle.

Les Odes, livre IV, « De l’absence de s’amie » [strophes 3 à 5],
Paris, André Wechel, 1559, ff. 148v°-149r° [←Gallica].

[…] 

L’amour me faict hair moy mesme,
Le bien me fait vn mal extreme,
Et le feu trop chault me pallit,
Le repos helas! me trauaille,
Le veiller m’est somme, & le lict
M’est vn camp de dure bataille,
Où viuant on m’enseuelit.

Le pleurer me plaist, & le rire
M’apreste vn contraire martire,
Le repos m’est venin & fiel,
Au lieu de paix i’ay tousiours guerre,
Ie voy sans yeux, & volle au ciel
Sans iamais départir de terre,
Où ieune ie semble estre vieil.

I’espere & crains d’vn seul courage,
Mon profit m’aporte dommage,
Et le iour plus serain qui luyt
Ne m’est que tenebre mortelle,
Bref, i’ay sans fin soit iour ou nuict
D’vn vieil desir peine nouuelle,
En suyuant cella qui me fuyt.

[…] 

Paris, Abel L’Angelier, 1576, I, VII, f° 2v° [←Gallica].

N’esperer qu’vne paix, & viure en vne guerre,
Ne pourchasser ma grace & demander merci,
Paroistre de douleur & de ioye transi,
M’enlasser d’vn lien qui iamais ne se serre:

Voler iusques aux cieux & demeurer en terre,
Me captiuer moymesme, & m’eslargir aussi,
Chercher mon passetemps, & n’auoir que souci,
Estre plus dur qu’vn roc, & plus fresle qu’vn verre:

M’armer de patience, & enrager tout vif,
Viure tantost heureux, tantost pauure chetif,
Brusler à petit feu, & geler en la glace,

Ma propre volonté changer en vn moment,
Ce sont les passions que i’endure en aimant
Ma Flore, qui m’a prins par les rais de sa face.

Paris, Abel L’Angelier, 1578, Amours, XXI, f° 38r° [←Gallica].

Je ne puis trouuer paix & n’ay ou faire guerre,
J’espere au desespoir, ie brusle & suis en glace:
Sans pouuoir rien tenir tout le monde i’embrasse,
Et tel m’a prisonnier qui ne m’ouure ou resserre.

Je volle sur les Cieux & languis en la terre,
Je forcene d’ amour & iamais ne m’en lasse.
Lon ne veut que ie viue & moins que ie trespasse,
Et tel ne me veut point qui mon las ne desserre.

Je voy sans yeux, i’oy sourd, & sans langue ie crie:
Je cerche ma ruine & le secours ie prie,
Je veux mal à moy-mesme & vn chacun i’honore:

Je me pais de douleur, pleurant faut que ie rie:
Esgallement me plaist & la mort & la vie,
Et vous seulle causez l’ennuy qui me deuore.

Paris, Lucas Breyer, 1581, f° 41v° [←Gallica].

PAix ie ne treuue, & ne puis faire guerre,
I’espere & crains, ie brusle, & ie suis glace,
Rien ie n’estrains, & tout ce rond i’embrasse,
Ie vole au ciel, & si ie suis en terre,

Ie suis captif & si rien ne m’enserre,
Enrethé suis & rien ne m’entre-lace,
Rien ie ne veux & si i’aime la face
De celle la sur toutes qui m’enferre,

Ie voy sans yeux, sans cœur me conuient viure,
Le dueil me paist, le plaisir me veut suiure,
Ie veux perir l’aide le cœur m’enflamme,

Autruy me plaist, & moy mesme m’ennuye,
Egalement veux la mort & la vie,
En tel estat ie suis pour vous ma-dame.

Anvers, Chr. Plantin, 1583, La Marguerite, I, p. 818 [←Gallica].

Ie vis en paix, & crains mortelle guerre,
Le feu me gelle, & dans la glace i’ars,
Ie suis retif, & vole en mille pars,
Ie monte au Ciel, & ne bouge de terre.

Ie me fay libre, & la prison m’enserre,
I’embrasse tout, & n’ay qu’ombrage espars,
Ie deuiens chiche, & mes biens ie depars,
Hayne m’asseure, amitié me deterre.

Vn mesme las m’esclaue, & m’affranchit,
Vne mesme eau m’enflame, & refrechit :
Heur, & malheur, m’ataignent en ma chasse.

Ie veus peril, & secours ie poursuis,
Ie fuy la mort, & sans fin ie trespasse :
Est-il Amant plus vexé que ie suis ?

Les premières Œuvres poétiques, Les Amours de Dione,
Paris, Thomas Perier, 1583, sonnet LX, p. 31 [←Gallica].

I’ayme la Paix, & suis tousiours en Guerre,
I’ayme à regner, & cherche le Tumbeau,
Ie hay l’Amour, & rien ne m’est plus beau,
Ie volle au Ciel, & m’accrouppis en terre.

Dans la prison, & en liberté i’erre,
Chargé de fers, & si suis sans fardeau,
I’espere, & crains, & brusle dedans l’eau,
Ioyeux & gay, & la douleur m’enterre.

Ie vois bien cler, aueuglé, & sans yeux,
Sans langue aussi, ie penetre les Cieux,
Vn autre i’ayme ennemy de moy-mesme.

L’hyuer ie brusle, & l’Esté meurs de froid,
Voyla l’estat, Madame ou lon me void,
Pour vous aymer d’vne amitié extreme.

Paris, Marc Orry, 1583, f° 284r°v° [←Gallica].

IE n’ay iamais la paix & ne peux faire guerre,

 Ie crains, i’espere, i’ars, i’ay l’estomac glacé,
I’embrasse tout le monde, & ne tiens rien pressé,
Ie volle iusqu’aux cieux, & ne bouge de terre.

Telle m’a en prison, qui ne m’ouure ny serre,
Ny sien me retenant n’a mon cep delacé.
Amour ne m’occist pas, ny viuant delessé
Ne me tirant d’ennuys aussi ne me deferre.

Sans langue ny sans yeux ie voy, ie crie fort.
Ie cerche du secours, ie desire la mort.
Ennemy de moy seul autruy i’adore & ayme.

Ie ris en lamentant, ie me pais de douleurs,
Le viure & le mourir m’est vne chose mesme,
En cest estat m’ont mis Madame, voz rigueurs.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 54, p. 277 [←Gallica].

TRouuer paix ie ne puis, & ne puis faire guerre,
Ie crains, i’espere, i’ards, & suis la mesme glace:
Ie volle sur le ciel, & ne bouge de terre.
En ne rien estraignant tout le monde i’embrasse.

Tel me tient en prison qui ne m’ouure ny serre:
Ny pour soy me retient, ny rompt ce qui me lasse
Amour point ne me tue, & si ne me deffere,
Il ne me veut voir vif, ny que mort me defface.

I’estans sans yeux ma veuë, & sans langue mes cris :
I’enrage de perir & conferme ma vie.
Ie veux mal à moy seul, & tous me sont amis.

Ie me pais de douleurs, & en pleurant ie ris,
Et tant me plaist la mort comme i’aime la vie.
Madame c’est l’estat enquoy vous m’auez mis.

Les Tragédies, Bergerie,
Rouen, Jean Petit, 1601, Sonnets, II [←Gallica].

HElas ie brusle & si ie suis de glace!

 I’aime beaucoup & ie haï bien fort;
Ie suis en vie, & ie pense estre mort;
Ie vay par tout sans bouger d’vne place.

De peur ie tremble & ie fremis d’audace;
Ie cherche paix & ie trouue discord;
I’ay la raison, on me donne le tort;
Ie sers tousiours & n’en ay point de grace.

Que puis-ie faire en ces diuersités?
Que doy-ie dire en ces aduersités?
Faut-il me plaindre ou bien faut-il me taire?

Plus de constance on montre en se taisant;
Mais la douleur se passe en la disant,
Comme par l’eau la chaleur se modére.

Le Pétrarque en rime française, Durant la vie de Laure,
Douai, F. Fabry, 1606, sonnet CV, pp. 195-196 [←Gallica].

Ie n’ay dõt faire guerre, en vain pais ie pourchasse,
Et ie crains & i’espere & i’ards de glace estant
Et ie m’en vole aux cieux sur la terre couchant,
Ie n’estrains rien, pourtant tout le monde i’embrasse.

Tel ne m’ouure ny serre, & en prison me lasse,
Ny pour sien me retient, en ses lacs me tenant,
Et Amour ne me tue, & des fers ne me prend,
Vif aussi ne me veut, & mon enui ne casse.

Sans langue auoir ie crie, aussi ie voy sans yeux,
Et ie voudroy perir, de secours desireux,
I’aime autruy, & ie porte vne haine a moy-mesme,

De douleur ie me pais, & en plaignant ie ris,
Ennemi à la vie & à la mort ie suis,
Pour vous dame ie vis en cest estat extreme.

Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CIV, p. 101 [←Gallica].

il dépeint sa misère à sa dame.

Je ne puis trou­ver la paix et je n’ai pas de quoi faire la guerre ; et je crains, et j’espère ; et je brûle et je suis de glace ; et je m’en­vole au-dessus du ciel et je rampe sur la terre ; et je ne sai­sis rien et j’em­brasse le monde entier.

Quelqu’un m’a mis dans une pri­son qu’il ne m’ouvre, ni ne me ferme, et sans me rete­nir pour sien, il ne dé­tache pas mes liens ; et Amour ne me tue ni ne m’ôte mes fers ; et il ne me veut pas vi­vant, et il ne me tire pas d’em­bar­ras.

Je vois sans yeux ; et je n’ai pas de langue et je crie ; et je dé­sire mou­rir, et je de­mande se­cours ; et je me hais moi-même, et je ché­ris autrui :

Je me repais de dou­leur ; je ris en pleu­rant ; la vie et la mort me dé­plaisent éga­le­ment. Voi­là Ma­dame, l’état, où vous me ré­dui­sez.

























textes originaux
[R]

 

En ligne le 13/01/23.
Dernière révision le 23/02/23.